L'automne, pour beaucoup, est synonyme de salons professionnels et donc de réunions. Rencontrer des inconnus dans le but d'augmenter son volume d'affaires est intéressant et stimulant en soi les deux ou trois premières fois que l'on s'y adonne, après quoi on tend à construire sa propre routine, comme en toute chose. L'une des premières compétences à aiguiser, si vous voulez tirer le meilleur parti du temps passé entre les stands et les bars pop-up, est d'identifier à la volée les offres de rencontre que vous devez refuser, car les chances que ces rencontres se traduisent par des résultats commerciaux appréciables sont pratiquement nulles.
Bien que les foires commerciales soient des contextes très spécifiques, les connaissances et les compétences développées à cette occasion sont également utiles dans la pratique professionnelle quotidienne et constituent un cours accéléré sur l'art de ne pas perdre son temps. D'autres notions qu'on a acquises au cours de notre propre expérience, limitée pour la plupart aux salons de l'industrie du disque, incluent le fait que les stands hongrois ont tendance à avoir les meilleurs gadgets, que les délégations catalanes transportent le même panneau imprimé dans le monde entier depuis au moins dix ans et que la restauration des stands suédois comprend souvent des alcools forts. On a reconnaît toutefois que ces notions ne sont pas forcément très utiles dans la vie de tous les jours. Voici donc un petit recueil des rencontres à éviter absolument, non seulement à la foire, mais aussi au bureau, à la maison, au bar, dans le train, au gymnase et au sommet du Mont Everest.
1. L'e-mail de couverture, "chers collègues..."
Ce type de contact est typique des salons professionnels qui fournissent aux délégués, au moment de l'inscription, une base de données contenant les coordonnées de tous les participants. Cette base de données est un outil précieux, qui doit être utilisé en toute connaissance de cause, pour identifier et approcher les interlocuteurs avec lesquels une collaboration mutuellement profitable est effectivement possible, du moins en théorie.
Malheureusement, tout le monde n'est pas familiarisé avec l'art sublime de ne pas utiliser à mauvais escient les coordonnées d'autres personnes, ce qui fait que chaque entrée dans la base de données d'un salon professionnel donne lieu à un nombre variable de courriels copiés-collés commençant par "chers collègues", "à qui de droit" et autres variations sur le thème dans diverses langues. Ce type de message est généralement envoyé par des fournisseurs de services ou de produits qui ne sont pas particulièrement ciblés (de plus en plus souvent des start-ups technologiques avec des fonctions de mise en réseau plus ou moins spécifiques à un secteur, des services de sécurité ou des services financiers) qui n'ont pas pu ou voulu organiser une présentation.
Accepter une réunion de ce type équivaut, dans le meilleur des cas, à écouter un vendeur pas particulièrement passionné qui propose un argumentaire écrit et appris par cœur, sans aucun rapport avec vous ou votre profession, et qui passe les vingt minutes suivantes à essayer de vous libérer de la pression d'acheter ou de souscrire à quelque chose, puis à terminer l'expérience avec l'astuce poussiéreuse de se retrouver avec des brochures qui seront oubliées dans la chambre d'hôtel. Ce n'est pas une réunion, c'est l'équivalent en affaires d'accepter un prospectus d'un monsieur distingué qui vous arrête dans la rue en vous prédisant l'apocalypse. Les personnes qui souhaitent sérieusement proposer des produits ou des services planifient généralement une présentation dans le cadre du calendrier des salons professionnels afin de pouvoir présenter leur produit à un large public et répondre ensuite aux questions et commentaires spécifiques des participants.
2. L'impoli, qui annule ou déplace la réunion moins de 24 heures avant le rendez-vous
Peu importe que ce soit vous ou votre partenaire qui ayez demandé le rendez-vous : reporter ou annuler un rendez-vous peu de temps à l'avance ou plus d'une fois, à moins que les raisons soient sérieuses et objectivement vérifiables, est toujours un signe de manque de respect et de sérieux. Vous avez affaire à une personne qui n'attache aucune importance à votre temps ou qui, en tout cas, le considère comme ayant moins de valeur que le sien. Cette attitude, manifestée au début d'une relation de travail, n'a pas tendance à s'améliorer, et il est même presque certain qu'elle s'exacerbe avec le temps. Si une réunion est annulée la veille sans explication adéquate, faites-vous une faveur : n'en prévoyez pas une nouvelle. De toute façon, votre relation de travail avec cette personne risque fort d'être une perte de temps frustrante et prolongée.
Parmi les raisons acceptables pour une annulation soudaine, citons : "Je suis coincé en Islande et un volcan vient d'entrer en éruption", "J'ai été enlevé par des extraterrestres et la CIA veut me poser des questions", "Je suis en train de me faire voler et un jeune homme vient de me demander de lui remettre son téléphone". Dans ce dernier cas, le retard est acceptable, mais pas l'annulation.
3. Le paresseux, qui veut partager le résultat sans avoir participé au travail
On ne connaît pas un seul professionnel qui ne déteste pas ce genre d'interlocuteur. La personne paresseuse est généralement quelqu'un qui a récemment commencé à travailler dans votre domaine, qui n'est probablement pas votre concurrent au sens strict du terme, mais qui n'est même pas votre ami, qui n'a jamais travaillé avec vous ni exprimé le désir de le faire, mais qui a besoin de votre aide. Ne vous méprenez pas : on n'a rien contre le fait d'aider les autres, on pense même que c'est une façon très noble d'occuper son temps. Ce qu'on trouve inapproprié, c'est de remettre le résultat de notre travail à la première personne qui passe, simplement pour lui épargner l'effort de le faire lui-même.
Vous avez rencontré le paresseux lors d'un événement social, on vous l'a présenté, vous avez échangé quelques mots et vos cartes de visite respectives, puis vous avez poursuivi la soirée sans vous parler. Quelques jours plus tard, le paresseux vous écrira un courriel, commençant par quelques lignes de compliments sur votre dernier travail, exprimant son admiration pour vos compétences, présentant modestement son entreprise naissante, puis, une fois le préambule terminé, demandant une rencontre et quelques faveurs.
Les faveurs consisteront généralement non pas en un conseil (qu'il serait légitime de demander), mais en une mise en relation que le paresseux pourra rechercher par lui-même ou en une explication des procédures qu'il pourra prendre la peine d'étudier, comme vous l'avez fait.
C'est l'exemple type d'une réunion à éviter : s'entraider, c'est bien, mais se faire passer pour paresseux n'est pas une attitude professionnellement respectable. Il fut un temps où ce type de contact me rendait furieux et me poussait à répondre en expliquant en détail pourquoi la demande de rencontre partait d'une hypothèse erronée. On s'est, alors, rendu compte que le temps qu'on passait à répondre était autant perdu que celui qu'on aurait dû investir dans une hypothétique rencontre, et on a commencé à mentir, écartant notre interlocuteur en deux lignes dans lesquelles on niait avoir les connaissances, les compétences ou les contacts requis. Voilà, maintenant vous savez la vérité.
4. L'ami de l'ami : "vous, en attendant, parlez-nous..."
Nous avons tous un ami bien intentionné qui ne comprend pas vraiment ce que nous faisons, mais qui trouve notre travail fascinant de manière générale et qui meurt d'envie d'y contribuer d'une manière ou d'une autre. Pour ceux qui travaillent dans les arts et le divertissement, les amis de cette catégorie ne sont pas mesurés en nombre absolu, mais en fréquence mensuelle.
L'ami enthousiaste a toujours à son tour un autre ami, neveu, voisin ou beau-frère qui fait un autre métier qu'il ne connaît pas bien, et il en déduit naturellement que c'est le même métier que nous. Lorsque vous entendez un discours qui commence par "J'ai un ami que vous devez absolument rencontrer, il fait le même travail que vous, vous pourriez faire des choses ensemble", suivez ce conseil : fuyez sans vous retourner. N'argumentez pas, n'essayez pas de partir en gentleman, ne demandez pas d'informations et n'essayez pas d'expliquer à votre interlocuteur pourquoi un trompettiste de jazz ne fait pas le même travail qu'un animateur de fêtes pour enfants.
Si la conversation arrive à la phrase fatidique "Alors tu vois ces détails entre vous, entre-temps tu lui parles...", c'est trop tard. Vous ne pourrez pas dire non sans vous sentir impoli, et vous vous retrouverez coincé dans votre propre bureau ou à la table d'un bar, où vous perdrez au moins une heure de votre vie à vous noyer dans la gêne, en faisant semblant de vous intéresser à une activité dont vous n'avez jamais voulu vous occuper et dont vous n'entendrez plus jamais parler.